Pékin a bien profité de son adhésion à l'OMC Go back »

2011-12-13 | All chapters

Pékin a bien profité de son adhésion à l'OMC
Le Monde, 12th December 2011

La Chine a enregistré, en octobre 2011, un surplus commercial de 17 milliards de dollars sur un an et les exportations ont augmenté de plus de 15%.AFP/STR

La presse officielle chinoise célèbre sans modération le dixième anniversaire de l'entrée du pays à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le 11 décembre 2001, la Chine accédait au statut de membre à part entière de l'OMC, après quinze années de négociation. Depuis, ses exportations ont été multipliées par 4,9 - passant, en 2009, devant celles de l'Allemagne - et ses importations sont aujourd'hui 4,7 fois plus fortes qu'en 2001.

"L'évolution sur une décennie prouve que la Chine a atteint son but", interprète le China Daily. Ce journal, porte-voix de Pékin, se félicite : "Comme convenu avec les membres de l'OMC, la Chine a baissé ses droits de douane, supprimé les barrières non tarifaires, telles que les quotas et les licences, et réduit les restrictions imposées aux entreprises étrangères.

Le ton des partenaires commerciaux de la deuxième économie mondiale est plus nuancé. Les Etats-Unis ont d'ailleurs demandé, jeudi 8 décembre, à l'organe de règlement des différends de trancher sur les taxes imposées par Pékin sur l'importation de volailles âgées de moins de 13 semaines, afin de"protéger les emplois américains"

Ce thème est récurrent, alors que la Chine a enregistré, en octobre, un surplus commercial de 17 milliards de dollars (13 milliards d'euros) sur un an, les exportations augmentant de 15,9 %. Dans un livre blanc, publié mercredi, Pékin estime toutefois que ses importations depuis 2001 ont permis de créer quatorze millions d'emplois et ont rapporté 262 milliards de dollars.

L'entrée de la Chine à l'OMC "a créé des opportunités majeures pour les entreprises européennes. Cela a bénéficié à la Chine ainsi qu'au reste du monde, soutenant la croissance économique", reconnaît Dirk Moens, secrétaire général de la Chambre de commerce européenne en Chine.

"De nombreuses discriminations subsistent, constate toutefois M. Moens, ainsi que de multiples subventions (pour les concurrents chinois). Les entreprises étatiques ont accès au financement à bas coût et de nombreux secteurs restent inaccessibles aux étrangers."

Un sondage, réalisé auprès des 600 adhérents de la Chambre, reflète ce sentiment : 25 % pensent que la Chine fait tout son possible pour respecter le droit de l'OMC, tandis que 31 % jugent qu'elle fait des efforts mais que la mise en pratique est lacunaire. Et 23 % considèrent que le pays cherche volontairement à contourner les règles qu'il s'est engagé à respecter (21 % ne se prononcent pas).

Dans le secteur automobile, les entreprises étrangères doivent ainsi toujours former une coentreprise avec un partenaire local. Cette règle devait permettre aux constructeurs chinois de rattraper leur manque de savoir-faire, sans s'effondrer face à une concurrence étrangère rodée.

Or les temps changent. Volvo a été repris par le constructeur local Geely et le chinois Youngman négocie pour racheter Saab. "On se demande si certaines restrictions en place lors de l'accession de la Chine à l'OMC ont toujours un sens aujourd'hui", s'interroge ainsi M. Moens.

De même, dans le secteur bancaire, où malgré l'objectif de faire de Shanghaï un des grands pôles financiers mondiaux à l'horizon 2020, les étrangers détiennent aujourd'hui moins de 2 % du marché et attendent des licences bien difficiles à obtenir.

La propriété intellectuelle est un autre sujet de friction permanente pour un pays où huit ordinateurs sur dix fonctionnent sur un système d'exploitation piraté. "Sauf lorsqu'il en va de la santé du consommateur, la Chine ne considère pas la contrefaçon comme un réel trouble à l'ordre public", constate Anne Séverin, avocate associée du cabinet DS.

Pour Leïla Choukroune, professeur de droit international économique à l'université de Maastricht (Pays-Bas), la Chine a globalement respecté ses engagements, mais le diable se cache dans les détails. Du fait de sa montée en puissance économique, "nous allons assister à une augmentation des litiges impliquant la Chine à l'OMC", prédit Mme Choukroune.

Selon Anne Séverin, la nouvelle dichotomie se fait pourtant moins entre entreprises étrangères et chinoises qu'entre secteur privé et public : "Beaucoup d'entreprises privées chinoises font part de difficultés similaires aux étrangers."

La décennie écoulée a vu se préciser les contours d'un "modèle" de capitalisme d'Etat chinois. Les champions nationaux gravitent autour du gouvernement central. Ils bénéficient de crédits avantageux et sont facilement reconnaissables à leurs noms (China Mobile, Bank of China, China Telecom, Petrochina, Air China, etc.). Le Bureau de l'organisation du Parti communiste chinois nomme d'ailleurs leurs dirigeants et s'assure ainsi de leur loyauté.

Les entreprises privées et étrangères prospèrent dans les secteurs les plus ouverts, tels que la distribution et les services, ou leurs compétences sont les bienvenues. La crise a confirmé cette tendance, le plan de relance ayant renforcé ces champions.

Ce modèle s'éloigne-t-il de l'esprit de l'OMC ? Selon Hua Min, directeur de l'Institut d'économie internationale de l'université de Fudan, à Shanghaï,"de multiples groupes d'intérêt s'opposent à davantage d'ouverture et il faut donc accepter que le changement soit progressif".

Par anticipation, le vice-ministre du commerce, Yu Jianhua, a reconnu, en novembre, qu'il "faut dix ans pour forger une bonne épée".