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2010-10-11 | All chapters

Chine: le "moment" européen

Les Echos, 8th October 2010

 

Environ 3 % des exportations des pays européens vont vers la Chine, quand la Chine dirige près de 20 % de ses produits vers l'Union européenne, son tout premier client. L'Union investit tous les ans plus de deux fois plus en Suisse qu'en Chine. Même si ces chiffres sont appelés à croître, cela met bien en lumière combien la Chine a au moins autant besoin de l'Europe que le Vieux Continent de la Chine.

Et c'est tout l'enjeu du sommet Union européenne-Chine qui s'est tenu ce mercredi à Bruxelles. Ce sommet a lieu à un moment crucial de l'émergence de la Chine sur la scène économique, diplomatique et géopolitique mondiale. Le « G2 » Etats-Unis-Chine traverse une crise avec le récent vote au Congrès et les nuages protectionnistes qui s'accumulent. Les relations de la Chine et du Japon ont connu un brutal « rafraîchissement maritime ». Les groupes internationaux sortent d'une longue lune de miel avec l'empire du Milieu et s'interrogent de plus en plus sur la rentabilité réelle de leurs lourds investissements technologiques et financiers.

Or c'est précisément maintenant que l'Europe cumule, vu de la Chine, de nombreux atouts. Loin de l'idée très répandue, et intériorisée par nombre d'Européens, d'un continent qui aurait perdu son influence dans le monde, ou l'espoir de tirer un profit économique et social de l'émergence chinoise. A un moment où les Etats-Unis perdent leur leadership absolu et où la Chine ne se sent pas prête à assumer le sien, c'est une chance unique pour réaffirmer son « soft power ». La « vision stratégique européenne » concernant la Chine reste à définir, et surtout à faire entendre de manière claire et audible. Il n'est que temps.

Les Etats membres, et les plus grands les premiers, sont les grands perdants de cette absence de vision commune vis-à-vis de la Chine, qui valorise la constance et la prédictibilité des messages, la cohérence des différents canaux et, osons le dire, l'évaluation des rapports de force en présence. Les politiques solitaires ou dissonantes, à l'image des mesures protectionnistes, sont à terme préjudiciables à leurs auteurs. Au sein des institutions européennes, il est essentiel de pousser à encore plus de coordination, la relation avec la Chine étant aujourd'hui répartie entre au moins six commissaires.

Sur le message lui-même, l'Europe a trop longtemps péché par une approche sentimentale ou naïve. Il faut tordre le cou à cette vieille idée reçue que l'on ne peut dire la vérité à nos interlocuteurs chinois. Bien au contraire, cette politique est préjudiciable à la crédibilité de la politique européenne tout entière. Il faut une relation Europe-Chine plus adulte, moins volatile ou marquée par des fâcheries ponctuelles. Ces poussées de fièvre sont la conséquence directe d'un dialogue stratégique insuffisamment débattu avec les acteurs économiques, intellectuels et sociaux à Paris, Londres, Berlin ou Athènes. Plus que les différences de valeurs, qu'il convient d'assumer, c'est l'inconsistance du message qui pénalise l'Europe.

La condition de cette relation adulte est une vision claire sur les objectifs que poursuit l'Union en Chine. Dans le contexte actuel de transformation du modèle économique chinois, l'Europe détient toutes les clefs : un système éducatif primaire et secondaire imparfait mais qui continue à donner les bases essentielles aux plus jeunes générations. Un système de sécurité sociale affaibli mais essentiel à un bien-être collectif réel. Une base technologique et industrielle restée dense dans les secteurs stratégiques pour la Chine : transports, énergie, technologies environnementales, sécurité alimentaire, santé. C'est l'innovation dans ces secteurs dont a besoin la Chine pour passer à une économie générant plus de valeur ajoutée et moins dépendante d'une main-d'oeuvre qu'il faudra enrichir pour créer une base de consommation domestique. A l'Europe d'être claire sur ses intérêts vitaux.